MORT OU VIF: EASTWOOD ET TARANTINO CHEZ SAM RAIMI

Mort ou vif a une place assez bâtarde dans l’histoire du cinéma américain. Ce qui explique probablement son échec à sa sortie, devant un public sans doute pas préparé à affronter une telle déformation hyperbolique de sa mythologie fondatrice. Un peu comme si le Quentin Tarantino des Kill Bill refaisait Impitoyable de Clint Eastwood, qui deux ans plus tôt avait réconcilié l’Amérique avec le deuil de ses icônes d’antan dans l’écrin formel de sa splendeur classique. Et ce en racontant la même histoire que le film de Sam Raimi, qui va jusqu’à lui reprendre son bad guy emblématique.

L’immense Gene Hackman y joue ainsi le suzerain tyrannique d’une petite ville, gunfighter redoutable et redouté qui organise la mise à mort des autres mythes de l’Ouest susceptible d’occuper le sommet de sa montagne avec lui. Dans Impitoyable, en humiliant tous les desperados qui arrivent dans sa ville juchée sur leur réputation avant d’en repartir entre quatre planches symboliques. Dans Mort ou Vif, en organisant un tournoi de duels qui racole les tueurs les plus haut en couleurs du pays et dont il ressort inlassablement vainqueur. Les deux films partagent ce même instant où Hackman anéantit une gâchette exubérante (Richard Harris chez Eastwood, Lance Henricksen chez Raimi) faisant le spectacle de sa propre mythologie auprès des béotiens crédules. Ce avant que Gene le boogeyman ascète ne détruise leur show aux yeux de leur public dans des séquences d’humiliations anthologiques. Gene est le voleur d’âmes des flamands roses qui exhibent leur plumage, le rigorisme protestant dans toute la démesure de son courroux punitif.

« And you will know
My name is the Lord when I lay my vengeance upon thee »

Dans les deux films, une icône ne suffit pas pour venir à bout du monstre. Il faut un humain qui doit se confronter à son angoisse de la mort pour redevenir un mythe. Chez Raimi comme chez Eastwood, le héros n’est pas un attribut prédéfini, mais un fardeau que le personnage principal doit mériter en traversant milles souffrances avant de pouvoir l’endosser. C’est sans doute l’idée la plus forte de Mort ou Vif d’articuler son récit autour d’une ligne de désir perturbée par une angoisse permanente et sans cesse identifiable. Celle de l’héroïne, qui brule de se venger tout en étant étouffée par la peur de mourir. Soit l’angoisse antédiluvienne de l’être humain, dont se jouent avec dédain les mythes autoproclamés qui poursuivent leur grandeur et vivent pour leur héritage.

Ce qui est d’ailleurs la même histoire que Kill Bill au fond.  Deux œuvres centrées sur deux blondes sculpturales, qui veulent faire payer l’ogre qui a mis leur meurtre en scène (symbolique chez Raimi, physique et symbolique chez Tarantino).  Deux personnages qui doivent surmonter la peur de ne pas être à la hauteur dans un univers d’icônes outrancières. Il y a cette scène dans le Tarantino ou arrivée dans le restaurant investie par la némesis Lucy Liu et sa cour (composée notamment des mythiques « 88’ Bastards »), Uma Thurman (dans le pyjama jaune de Bruce Lee) se réfugie dans les toilettes, comme pour reprendre son souffle avant de plonger dans le vide. C’est toute la première partie de Mort ou Vif, ou la mise en scène hyperbolique de Raimi, qui peut-être signe son film le plus théâtral, (les personnages hauts en couleurs s’arrogeant un espace de parole pour chanter leur propre légende) ne fait qu’oppresser le personnage de Sharon Stone. Simple humaine dans un monde de demi-dieux. 

Impitoyable, Mort Ou Vif et Kill Bill vol. 1 parlent de boxeurs et de boxeuses étouffées par l’angoisse à l’idée de (re)monter sur un ring sur lequel ils ne sont pas sûrs d’avoir leur place. Les trois films intimident le réel avec les légendes qu’ils commencent par édifier pour mieux les faire chuter. Car l’humain l’emporte sur les icônes après avoir investi son propre mythe, comme lorsque Clint, poussé par la fureur vengeresse renoue avec ses instincts de tueur dans Impitoyable. Ou que transcendée par le devoir moral qui la place au service d’une mission et non plus à celui de ses pulsions, Sharon Stone affronte le meurtrier de son père après avoir redéfini les règles de son jeu. Ou que Béatrixx Kiddo redevienne la mariée dans le ballet sanglant qui concluait Kill Bill. Avant de redevenir Béatrix dans l’opus suivant.

« More than a human »

En effet, la séparation fait lieu de tracé frontalier entre Kill Bill vol. 1 et 2. Tarantino s’emploie ainsi à prendre à ramener le premier opus au rang de fantasme démystifié dès le début du premier opus par quelques répliques aussi cinglantes qu’équivoques. « Ils n’étaient pas 88, il faut toujours que ces enfoirés exagèrent». Ramener ses personnages sur les rails du réel, à l’instar de Mort ou vif, qui commence par mettre en scène les personnages dans leur folklore avec force effet pour mieux les renvoyer à la détresse de la condition humaine (voir la mort du personnage joué par un jeune Leonardo DiCaprio qui siégeait déjà avec les géants). 

Au fond, Kill Bill vol. 1était un film de Sam Raimi, quand Kill Bill vol. 2 était un film de Clint Eastwood. Ce qui fait de Mort ou vif le trait d’union entre Impitoyable et Kill Bill, et Sam Raimi le chainon manquant (à ce moment-là de sa carrière) entre Clint Eastwood et Quentin Tarantino. La preuve que les équivalences de pensée surmontent les antagonismes esthétiques, et le reflet d’un cinéma américain qui ne cesse depuis 30 ans de raconter le mythe comme quelque chose d’infligé à celui qui doit l’endosser (remember Spiderman, et Gran Torino). Soit la chronique, en creux d’une culture des grands destins sur le point de tirer sa révérence.

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