LA FEMME-ENFANT CHEZ LUC BESSON

Oui bon, je sais ce que vous allez dire. Encore un blogueur paumé dans la multitude du net qui essaie de se payer une tranche de buzz sur le dos d’un homme à terre. Vous n’avez surement pas tout à fait tort, si ce n’est qu’on remarquera que la position du tireur couché n’empêche en rien notre sujet du jour d’encaisser de juteuses compensations pour son chemin de croix. C’est que pour Luc Besson, il en va des parachutes dorés comme du reste : séditieux par devant mais pragmatique par derrière, un pirate de bateau de plaisance, marginal qui fait des pas de côté tout en prenant soin de ne rester dans la mire du centre. Bref, un démagogue, un vrai, un pur un dur un tatoué. 

Du genre à faire dire Nique l’état aux personnages des productions Europa Corp , tout en grattant les poches du contribuable pour sa Cité du cinéma.  Du genre à faire monter ses épigones au créneau pour l’ériger en alternative nécessaire et ses films en devoir moral à apprécier en salles quand la terre s’arrête de tourner autour de son orbite (voir Valérian). Un peu comme quand Pierre Bellanger, le président de Skyrock (une autre lessiveuse du vide d’une contre-culture transformée en tiroirs-caisse pour actionnaires), mobilisait tous les rappeurs concernés par leur Sacem (ça fait du monde) pour faire de son licenciement une cause nationale et engager le sort du rap français sur son maintien. Europacorp, Premier sur le rap : à chacun ses Tartuffe, y’en a pour tout le monde. 

Toutefois, tout système a ses limites, et la dernière opération com’ en date révèle à quel point le réalisateur sent le sol de la modernité se dérober sous ses pieds d’argile. Cette fois, la campagne n’est pas battue dans les marges promotionnelles du film, elle en constitue la raison d’être. Ainsi, plus encore qu’une volonté de remplir le frigo vide d’Europacorp, Anna s’impose comme une tentative désespérée de se raccrocher à l’air du temps. Je m’en remet aux joies de l’autocitation pour un détail plus exhaustif du bazar, mais la grossièreté de la manœuvre ne fait que surligner au marqueur cet aspect de sa filmo qu’Anna s’efforce de réhabiliter tranquilou bilou, sans rien dire à personne. Vous l’aurez compris, on va parler de l’autre point commun que Luc Besson partage avec Pierre Bellanger: sa relation compliquée avec la gent féminine. Enfin, celle de son cinéma du moins.

Soyons clairs : l’auteur de ces lignes ne goûte que modérément les chasses aux sorcières déclenchées tous les deux jours par les JSW qui exigent de la création artistique sa conformité à leur bien-pensance inquisitrice (quelque part le public racolé par Anna). Concernant Luc Besson, le problème est bien différent. Car il y a quelque chose de fondamentalement litigieux dans la promotion de l’idéal féminin dont Besson s’est fait le champion, depuis au moins Nikita justement. A savoir l’invariable femme-enfant émotionnellement attardée, dont la candeur désinhibée interpelle le mâle d’âge mur en quête d’innocence sauvage. 

Il ne s’agit nullement de porter un jugement moral sur des thèmes qu’il est loin d’être le seul à avoir explorer (Lolita de Stanley Kubrick pour ne citer que celui-là). La problématique ici réside dans la façon dont Besson tend à placer le spectateur devant le fait accompli de l’obsession de ses personnages masculins. Prenez le personnage de Tcheky Karyo dans Nikita. Impossible de saisir les raisons qui poussent cet agent zélé à mettre ses fonctions en péril pour aider une femme qui aurait plus sa place dans un hôpital de jour que dans un centre de formations pour espionnes aguerries.  En fait, on ne pige jamais ce qu’elle fout avec un fusil dans les mains, ni ce qui la motive (ou la contraint) à appuyer sur la détente à chaque fois que Besson lui met une cible sur sa route. 

Surtout quand le cinéaste continue de la filmer comme une gamine coincée dans le corps d’une adulte, confrontant jusqu’au sadisme son innocence parfaitement étanche aux horreurs de ce monde qu’il est trop injuste et méchant. Quitte à mettre le personnage dans un état d’hystérie émotionnelle permanent, épuisant le spectateur obligé de subir les manifestations de bipolarité d’un résidente Coterep qui communique par onomatopées. Ce qui inscrit finalement Besson dans le sillage d’un certain cinéma d’auteur français, trésor-culturel-que-le-monde-nous-envie qui s’est largement distingué par sa propension à transformer ses actrices en harpies criardes et bipolaires sous prétexte de sonder les mystères du chromosome XX. La femme est l’égale de l’homme oui; elle est simplement démunie devant la faiblesse des moyens d’expression dont elle dispose pour traduire la turpitude de sa condition. Les premières victimes du féminin compliquées, ce sont elles, et pas nous.

Bref, Besson a beau avoir passé sa carrière à se définir comme une contre-proposition à cette grande famille qui aurait toujours regardé de haut son exercice populaire, au fond tout le monde se rejoint sur l’essentiel. C’est le propre des conflits familiaux: on se fout joyeusement pendant le rosbif, on redescend en octaves pendant le fromage, et on se découvre d’accord sur le principal au dessert.

Filmer sans comprendre ce qu’on filme, on appelle ça un fantasme. Or, c’est tout le problème du cinéma de Luc Besson. Ce n’est pas de partager son idéal féminin, c’est de l’imposer au spectateur. C’est de se retrancher derrière la condition ultra-archétypale de ses personnages pour se dédouaner du traitement. Comme si le fait qu’il filmait des idées plus que des personnes (à ce titre, Lucy incarne le stade terminal de ses velléités), des concepts « purs » qui surplombaient ses contemporains (mais pas la libido des protagonistes mâles, hé hé) l’autorisait à s’abstraire de l’essentiel : il ne se met jamais à la place de celles qu’il « iconise ». Ce n’est pas le personnage de la femme enfant en soit, mais son insistance à la présenter comme un idéal sans autre construction que la projection des fantasmes masculins qui l’entourent. De là à dire que Jeanne d’Arc– « La Pucelle » a tout du terme de la quête d’un auteur ayant trouvé la licorne qu’il a poursuivi toute sa carrière, il n’y a qu’un pas que l’on a envie de franchir. Pour une simple raison: tout est question de point de vue. Et pour bien s’en rendre compte, il suffit de comparer les différentes options qui s’offrent à un cinéaste qui souhaite représenter un échange litigieux entre une lolita ingénue et un homme dans la force de l’âge, il suffit de regarder ÇA. Et puis ÇA juste après.

Dans le premier cas: un cinéaste qui affronte le contenu sulfureux de la scène sans se cacher derrière son petit doigt, mais conscient du tabou qu’il est en train de transgresser. Martin Scorsese fait partie de ces cinéastes qui ressentent le besoin de se mettre en danger. Notamment pour s’approprier les films de commande qu’il ne voulait pas forcément faire au départ, et particulièrement dans un métrage comme Les nerfs à vif, où les personnages expérimentent l’effondrement de la zone de confort de l’American Way of Life et les certitudes morales qui la délimitaient. Or, pour Scorsese pas question de laisser ses protagonistes partir au charbon sans lui-même s’exposer. Vieille marotte d’un cinéaste catholique: on ne représente correctement le malin qu’en confrontant sa propre vertu à la perversion. Je ne peux regarder (en l’occurrence: filmer) ce que les autres vivent si je ne suis pas prêt à m’y confronter moi-même.

Ici la scène est dérangeante parce que sensuelle, parce que la jeune Juliette Lewis découvre son pouvoir de séduction dans les yeux de ce taré de Max Cady, auquel Robert De Niro prête son regard d’autorité prédatrice. L’emprise de Cady est indéniable tout autant que son pouvoir de persuasion sur la jeune ingénue. Scorsese sait ce qu’il est en train de faire et pour bien appuyer le trait convoque l’imagerie du conte de fées pour imprimer les motifs dans le regard du spectateur. Le réalisateur n’essaie jamais de convaincre le spectateur qu’il filme quelque chose d’anodin, où la péripétie lambda d’un thriller bourgeois quelconque. Le monstre prend possession de l’univers des personnages, jusque dans leur psyché, de la même façon qu’il prends possession de l’inconscient du spectateur avec des motifs reconnaissables.

Second cas: il s’appelle Léon, et il a pas de gros camion mais un court-circuit dans le néon, et pour un peu, il aurait bien sa place dans un film de Bruno Dumont. C’est ce que nous dis le regard de cheval mort de Jean Reno et la relation étrange qu’il entame avec une gamine de 13 ans. Chez les autres c’est problématique, mais on le sait depuis La vie de Jésus et Confessions Intimes, dans ch’Nord c’est une coutume: ce n’est pas à New-York que Besson aurait tourner son film, mais à Outreau. Surtout que l’équilibre des forces est respecté: Mathilda est plus mature que son âge, mais Léon est un enfant qui n’a jamais grandi. Tout va bien, y’a pas de quoi s’inquiéter. La preuve ils vivent leur idylle innocente en jouant à se déguiser. L’impression d’être coincée dans la tête de Michael Jackson façon The Cell commence déjà à s’installer , mais ce sont les détails qui vont faire la différence.

Au-delà de la façon dont le cadre accorde l’ascendant à Mathilda, la candeur surjouée de l’ensemble permet à Besson de faire passer la pilule quand il marilyne monroise la gamine en grand-angle et filme la réaction tout en subtilité de Jean Reno en contre-champ (avant de rebondir sur autre chose juste après). Contrairement aux Nerfs à Vif, où les personnages devenaient des archétypes de contes de fées sous la caméra de Scorsese, Reno et Portman jouent à imiter des archétypes populaires. Autrement dit, il ne s’agit pas d’élaborer l’intériorité du film en jouant sur l’inconscient du spectateur et les archétypes qui le constituent, mais de tout ramener à la surface avec la connivence du public. Besson essaie de nous convaincre en tout bien tout honneur qu’il s’agit de deux enfants (certes avec un léger décalage d’âge) en train de jouer. Alors que ce que la scène cristallise réellement, c’est l’émergence de l’attirance charnelle d’un homme dans la force de l’âge pour une adolescente de 13 ans. Bref, Besson esquive et se confie par lapsus, et donne de fait l’impression d’un ours en train de tourner autour du pot de miel. Pour pouvoir prétendre avec Anna, 24 ans après, que non il n’a jamais eu envie d’y tremper la patte au cas ou on aurait mal compris. Il y a des défenses qui donnent encore plus l’air coupables que d’autres…

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