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WESLEY SNIPES: LE NOUVEAU MONDE DES ANNÉES 90

L’avantage d’une culture doudou, c’est le boulevard offert à ses totems pour survivre sinon professionnellement, du moins médiatiquement dans un présent qui les réclame moins pour ce qu’ils sont que pour l’ombre de ce qu’ils ont été. A cet égard, Wesley Snipes a de quoi se sentir lésé par le revival actuel des années 90. Personne pour demander la reformation de son duo avec Woody Harrelson, pas un désoeuvré pour lancer un appel sur les réseaux sociaux pour une suite de Passager 57, pas un geek au chômage pour faire circuler une pétition réclamant une préquelle sur la jeunesse de Simon Phoenix. Même pas un rappeur en quête de vues streaming pour écrire un autre morceau hommage à Nino Brown

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Faut être lucide: à 56 ans dont cinq passés à sacrifier sa carrière en Europe de l’Est pour régler un litige avec le FISC américain (et deux derrière les barreaux pour ne pas avoir réussi à régler ledit litige), ça sent un peu le sapin pour devenir rentier de ses années fastes. Même les rumeurs autour de la mise en chantier de Blade 4 font office de sursis avant mise au placard, puisqu’il s’agirait de passer la main à une actrice qui jouerait le rôle de sa fille. Après avoir essayé d’effacer son nom de l’histoire en tant que premier super-héros noir pendant la campagne marketing de Black Panther, voilà que Marvel s’apprête à entériner sa pré-retraite… 

C’est ce qu’on pourrait appeler le « syndrome » Wesley Snipes, condamné à faire le pied de grue dans la file d’attente de la mémoire collective dès lors qu’il se met à jouer en équipe. Prenez The Expendables 3, où il devait partager la carte come-back avec un Antonio Banderas qui faisait des pieds et des mains pour attirer l’attention et un Mel Gibson qui la retenait en ne faisant rien. Snipes avait beau mettre le feu à l’écran pendant ses vingt minutes de présence, rien n’y a fait. Ajoutez-y un demi-bide qui a signé le glas de la franchise, vous obtenez un coup d’épée dans l’eau qui provoqua juste assez de remous pour lui permettre d’exister dans quelques DTV (mais toujours en mettant le feu, cela va sans dire).

 » Je vais vous mettre un dunk bande de cons, vous allez sentir vos médocs pour l’arthrose »

Pourtant, de tous les action hero venus user leur bas de treillis sur le banc de la franchise, Snipes est loin d’être le moins légitime. L’homme a ses rôles cultes , un style de combat bien défini et reconnaissable avec lequel il a gravé son nom dans la roche du genre, une personnalité qui fait du pied à l’objectif… Et accessoirement, il est objectivement meilleur acteur que les autres (Stallone mis à part). Pourtant, de tous les vieux fusils à l’écran, il n’est pas celui qu’on va choisir dans les premiers pour constituer son équipe. 

Sa liberté de penser

Au fond, plusieurs facteurs peuvent expliquer cet amour tiède de l’histoire des genres et des codes pour l’acteur. Car contrairement à d’autres, Wesley n’a jamais vraiment cherché à développer une « marque » Snipes. Sa filmographie ne répond pas une logique de catalogue égrenant ses variations autour d’une même figure. A la fois action star dans des produits de studios oubliables (Passager 57, Drop Zone, Money Train) et character actor chez certains des réalisateurs les plus côtés de l’époque (Spike Lee, Tony Scott, Mike Figgis), Snipes n’a jamais pissé suffisamment au même endroit pour marquer son territoire. Même la versatilité de son jeu jouait en défaveur de son identification, le comédien switchant volontiers (et avec bonheur) entre le mode extraverti (Demolition Man, Extravagances, Les blancs ne savent pas sauter) et le monolithisme silencieux (U.S Marschals, Undisputed, Blade). 

Sa force d’alors (sa diversité, sa capacité à ne pas se laisser enfermer dans une case) est devenue sa faiblesse dans une industrie qui utilise les persona de ses stars comme un élément de langage. Pourtant, à bien y regarder c’est bien lui qui incarne le mieux la décennie 90’s. Car à la différence des autres grosses têtes révérées aujourd’hui pour ce que l’époque a été, Snipes représentait la promesse de ce qu’elle devait-être, et de ce vers quoi les ultimes soubresauts du XXème siècle auraient dû déboucher. A savoir une société qui met les pieds en fredonnant dans une post-histoire libérée des codes et diktats de l' »ancien monde ». Soit à peu près tout ce que n’est pas devenu un monde recroquevillé sur des débats d’arrière-garde que les années 90 donnaient l’illusion d’avoir dépassé.

L’oeil qui pétille, une marque déposée

Plus qu’aucun autre acteur de sa génération, Wesley Snipes incarne cette piqure de rappel à la modernité d’une promesse qui n’a pas été tenue. Sa filmographie renvoie à cette liberté que plus personne n’ose s’octroyer aujourd’hui sans en faire un geste revendicatif . Car la liberté, c’est bien ce que représentait la star par rapport à ses confrères. La liberté de changer d’univers sans demander à son agent si le public ne lui en tiendrait pas rigueur. La liberté de jouer une drag-queen sans se poser la question du contre-emploi (Extravagances), celle de devenir le M. Loyal de la série B de studios sans craindre de passer à côté des projets les plus convoités d’Hollywood (Soleil Levant, Le Fan, Pour une nuit). La liberté, aussi de partager son lit avec une femme blanche sans craindre de déclencher une polémique. Jungle Fever de Spike Lee ouvrit le boulevard dans lequel il s’engouffra pour devenir comme le premier acteur noir à pouvoir s’affranchir de cette problématique.

Ce que n’aurait pas pu faire Denzel Washington, qui dû attendre 2013 et Flight de Robert Zemeckis pour faire sauter un tabou qui n’en était pas un chez Snipes. Denzel, qui dû attendre les années 2000 pour se détacher de ses allures de leçon de morale ambulante. Denzel, qui était perçu comme ce qu’il a cessé d’être en a criant au loup chez Antoine Fuqua et en faisant exploser les bad guys à coups de bombes dans le cul chez Tony Scott : un (très) grand acteur chiant et rockn’roll comme un sermon baptiste.  

Swagger like him

Tout ce que n’était pas Wesley Snipes, peu porté sur l’héritage de Sidney Poitier, et davantage guitariste/soliste que prêcheur. Nourri par l’insouciance aérienne de ceux qui passent à travers les portes que les autres doivent enfoncer, Snipes jouait pour l’amour de la scène et le souci du style qui n’a jamais été pris en défaut, ni altéré par la variété de ses rôles (sauf Blade: Trinity, mais là on parle d’auto-sabotage). Parce qu’il ne faut pas oublier le principal : Wesley Snipes était cool. Méga cool même, tout en flegme suave et en prestance naturelle qui ne forçait jamais les dieux du swagg à bénir son étoile. Son binôme avec Woody Harrelson mettait le doigt sur le verdict sans appel rendue en faveur de la puissance Snipes : pour exister à ses côtés, il ne faut pas essayer d’être cool, mais tout faire pour ne pas l’être. A moins de s’appeler Sean Connery dans Soleil Levant, mais là c’est le cosmos level ++++.

Forcément, il ne pouvait y avoir que lui pour donner vie à Blade. Premier film de super-héros noir certes, mais surtout premier comic book-movie du XXIème siècle. Avec le concours du scénariste David S. Goyer et du réalisateur Stephen Norrington, Snipes a façonné la conception d’un film qui tente une synthèse de culture populaire qui n’avait jamais été opérée auparavant. Il fallait un acteur inféodé aux codes pour conceptualiser un personnage de samouraï-vampire, qui renvoie autant à la blaxploitation qu’aux chambarras et charrie l’esthétique d’une époque tout en se projetant dans le futur immédiat de l’industrie. Il faut se souvenir de sa première apparition, qui ringardisait en quelques plans l’action hero à papa et tout ce que la concurrence pouvait envisager de faire. A l’avant-garde du Zeitgeist et du momentum de Matrix, Blade est le premier héros « pluri culturel » (plus encore avec la suite réalisée par Guillermo Del Toro), en ce qu’il est le produit d’envies de cinéma affranchie des frontières culturelles et médiumniques. Celles-là même que son acteur principal s’est toujours efforcé de ne pas considérer pour mener sa barque. Ce qui l’a toujours défini.

Chainon manquant entre le film d’action du XXème siècle et celui du nouveau millénaire, Blade constitue l’aboutissement du travail de Wesley Snipes, et son leg à l’histoire. Comme si tout ce qui avait défini sa carrière jusque-là lui l’avait conduit à cette création-charnière. Dans un monde parfait, ce n’est pas (seulement) dans un Expendables qu’il devrait-être convié, mais dans un Avengers. Wesley Snipes n’était pas une figure de proue du cinéma d’action. Il a été le messager de sa modernité, celle vers laquelle le blockbuster se targe d’aller aujourd’hui. Toujours en mettant le feu à l’écran, of course.

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