Fist Fight: La (Vraie) Vie Scolaire

Une fois n’est pas coutume, les U. S nous donnent une leçon d’éducation. Ice Cube plus précisément, qui sort là son meilleur album depuis longtemps, même s’il s’agit d’un film. La morale, en une phrase ? « Si la violence ne résout rien, c’est que t’as pas tapé assez fort« .

Pourtant, le matériau de Fist Fight tendrait de prime abord à tenir à distance l’ancien AmeriKKKa Most Wanted du prétoire sur lequel il scandait Fuck the Police avec NWA. Le film n’a en effet ni l’envergure ni la prétention de mettre les pieds dans l’appareil cassé du système éducatif, mais paverait plutôt la voie d’une comédie régressive qui se résume à la connerie lumineuse de son argument: deux profs que tout oppose se donnent rendez-vous à la sortie de l’école pour se bastonner. A ma droite Ice Cube donc, prof d’histoire vener qui enseigne comme il rappe, c’est à dire avec une batte de base ball à la main. A ma gauche Charlie Day, prof d’anglais timide qui enseigne comme il parle, c’est à dire avec une voix aiguë qui appelle un chat un chien pour se préserver des conflits que le premier essaie de provoquer. Entre le renoi with attitude et le babtou hyperfragile, une incommunicabilité qui ne saurait être surmontée que par le seul langage réellement universel: celui du poing dans la gueule. Limpide ? Plus que ça : cristallin.

« Get your bitch’n ass over here you fucking whitey« 

Toute la mécanique comique de Fist Fight repose ainsi sur la simplicité imparable de son postulat, et surtout sur la montagne de complications créés par le personnage de Charlie Day pour y déroger. Parfait dans son emploi habituel de calimero sous cocaïne qui se contorsionne dans le sens inverse des aiguilles d’une montre pour éviter les questions qui fâchent, Day incarne tout ce que Cube l’acteur et musicien exècre, et que le spectateur finit par détester lui aussi. Soit l’autruche qui se met sa tête et celle des autres dans le sable pour ne pas prendre parti, et range ses états d’âmes sous les mauvaises bonnes excuses qui se posent à tout un chacun au moment d’aller au clash avec sa vie. Ferme ta gueule, rase les murs, de toutes façons c’est pas toi qui va changer quoique ce soit. Surtout dans le contexte du lycée public dans lequel travaillent les deux collègues mal assortis, où élèves et petites politiques d’économies budgétaires surfent sur les vagues que sont tenus de ne pas faire les profs. Ça vous rappelle quelque chose ? C’est normal: le « pas faire de vagues » fait partie de ces expressions fétiches de la novlangue internationale qui évacue de son dictionnaire toutes les entrées susceptibles de signifier que la maison brule. Si ça se dit pas, c’est que ça existe pas et en plus c’est anxiogene. Bref, l’inertie populaire érigée en nouvelle American way of life que le Cube de la grande époque se faisait un plaisir de dépecer le micro entre les dents.

Fist Fight étire ainsi son argument aussi fort que l’élasticité de son duo d’acteurs et l’imagination de ses scénaristes peut le permettre. Et en l’occurrence, le grand-écart de Jean-Claude Van Damme est de rigueur pour qualifier l’amplitude que prend le film pour s’écarter de l’aimable comédie pour parents d’élèves que son affiche laissait redouter. C’est drôle, et même hilarant quand le film s’écarte franchement de ses attendus, et que la victime attachiante jouée par Day se mue en boulet prêt à brûler la baraque pour éviter un coup de soleil. On commence par tenir avec le personnage pris à parti dans un conflit qu’il n’avait pas cherché, on finit par se ranger du côté de celui qui l’a déclenché. C’est tout bête dit comme ça, mais la simple inversion de la charge de la leçon apprise suffit à marquer Fist Fight de l’empreinte du rappeur pas si assagi que ça, et d’éviter le filet de pêche de la bien-pensanse dans lequel il aurait pu terminer. Ce n’est pas le personnage de Cube qui se révèle moins méchant qu’il en a l’air, c’est son binôme qui devra se découvrir moins veul qu’il n’en donne l’impression.

Ainsi, l’heure n’est plus aux politesses, et Fist Fight ne se contente pas d’enfoncer les portes ouvertes: il rue dans les brancards à tombeaux grands ouverts, et accélère à mesure que se rapproche l’échéance de ce que la société de consommateurs américaine (occidentale?) abhorre le plus: la confrontation physique. De fait lorsque l’heure H, le réalisateur ne filme pas une bagarre de cour d’école justement: c’est la Bataille des Batards en milieu scolaire, qui fait résonner très fort et très haut la fin du statu quo dans les murs de l’établissement. Comparaison n’est pas raison avec l’un des plus célébrés épisodes de Game of Thrones, mais pas forcément superflue pour autant. Car Fist Fight tend l’élastique jusqu’à la rupture dans la seule direction de l’affrontement, et libère tous les chakras quand le coup d’envoi est lancé. Bref, la violence nécessaire fait du bien: à l’histoire, au personnage et au spectateur qui assiste à une chamaillerie de prof filmée comme un duel pour l’éternité. Autrement dit, deux adultes qui se battent, ce n’est pas ridicule mais glorieux. Un coup de jus dans la rétine qui fait du bien par ou il passe, et un autre dans les couilles du système qui ne s’en tire pas à s’y bon compte.

Ice Cube le sait, c’est quand on sait jouer la carte de l’entertainement qu’on fait le plus de dégâts. En l’occurence, c’est parce qu’il fonce tête baissée dans la régression que le film traduit sa raison d’être : l’appel au clash chevillé au corps et au conflit front contre front avec les problématiques qu’on fait semblant de ne pas voir. Bref, se bagarrer c’est bien, surtout pour mettre fin aux dialogues de sourd. Une leçon de vie qui s’écarte joyeusement de la morale ambiante, et permet à Fist Fight d’épouser le flow de son acteur principal. Ice Cube trouve le point d’équilibre entre le cerveau reptilien de son public et l’articulation de ses idées qui en a fait l’un des meilleurs rappeurs des années 90. Une certaine idée de la convergence des luttes en somme. En soit, c’est peut-être pas grand-chose, et ça change pas la face du globe. Mais c’est déjà beaucoup plus que La Vie Scolaire, et autres répondeurs du service client de la bien-pensance contemporaine. Vivre-ensemble oui, mais d’abord en un contre un.

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