LEON MORIN, PRÊTRE: LE REGARD DE JEAN-PIERRE MELVILLE

Léon Morin prêtre est ce qu’on peut appeler un film bavard. On discute théologie et scolastique, marxisme et catholicisme se confrontent et trouvent un terrain de cohabitation, on autopsie le poids du dogme à l’époque de sa sécularisation… Bref, un film qui se pose des questions et les pose à l’oral, dans des joutes verbales denses où Belmondo fait ce qu’il peut pour ne pas plier sous le poids du texte. 

Pourtant, il n’y a qu’une seule question qui intéresse vraiment le spectateur durant les deux heures de film. La même qui hante l’héroïne, dont le point de vue conditionne notre implication émotionnelle : m’aime t-il ? Ressent-il quelque chose? Est-ce réciproque ? 

Cette question-là résonne volontiers en voix-off, mais elle est surtout posée à l’image. L’impénétrable Belmondo n’offrant aucune ouverture à une quelconque présomption, chacun de ses faits et gestes devient un objet d’études pour l’héroïne et le public. Chaque ligne de fuite, chaque déplacement, chaque jeu d’ombres traduit en images et en découpage le véritable enjeu qui anime chacune de leur conversations-prétextes : deviner, trouver un indice, le faire sortir de sa réserve. Au jeu de l’amour platonique, il s’agit moins de concrétiser que de savoir; une déconvenue équivaut à un tremblement de terre et la plus infime victoire donne la force de se relancer dans l’ascension.

Léon Morin prêtre est un film agréable à écouter, mais rappelle que le cinéma est avant tout un médium qui se regarde. « Un regard vaut milles mots » dit l’adage, mais à condition de s’entendre sur son propriétaire. C’est celui du spectateur qui donne sens à ceux que se renvoient les personnages et ce que l’un essaie d’en déduire, qui donne matière à ce qui se joue derrière les joutes verbales des protagonistes. 

L’oreille est un complément qui peut se transformer en diversion: les soeurs Wachowski ne parlaient pas d’autres chose dans les Matrix. D’autres films prolixes, qui géraient des concepts ardus et n’épargnaient jamais le cortex du spectateur qui, à l’instar du héros, devait redoubler de concentration pour saisir ce qui était en train de se jouer devant lui. Barnaby et Néo, même combat ? On n’ose pas être affirmatif, mais connaissant la culture encyclopédique des deux frangines, on serait surpris que la filmographie melvielienne leur soit passée sous le nez. 

Contrairement à ce que laisse suggérer son titre, Léon Morin prêtre n’est pas un film sur le personnage de Jean-Paul Belmondo, mais celui d’Emmanuelle Riva. C’est sur son regard à elle que s’indexe celui du public, qui partage en termes cinématographiques l’allégresse du sentiment amoureux des petits rien et l’enfer de sa frustration. 

Male gaze, female gaze, du vent tout ça: cinéma et empathie. Au fond, à presque 60 ans d’écart Jean-Pierre Melville, cinéaste mannish-man sensible répond à Iris Brey, sociologue de soirées pyjama.

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