ANTOINE FUQUA: THE LAST BOY SCOUT

Loin de moi l’idée de transformer ce blog en fan page (et quand bien même, j’fais ce que je veux, je suis chez moi), mais bon on ne choisit pas ses obsessions. D’aucuns estimeront que s’aménager des tranches horaires au revisionnage du Roi Arthur et des Larmes du soleil constitue le signe d’une vie cinéphilique médiocre, ou d’un temps libre excessivement mal dépensé. A ceux-là je répondrais : arrêtez de prendre les beaux jours comme prétexte pour vous envoyer des pintes en terrasse, et faites-vous les versions longues. Aux autres, qui savent apprécier la valeur d’Antoine Fuqua, même quand ses films mettent leur seuil de tolérance à l’épreuve, mettez-vous à l’ombre et commandez frais : here we go again. 

AU VERRE PAS A LA BOUTEILLE

A l’instar de nombreux réalisateurs qui n’ont jamais su se poser en prescripteurs de tendance, le travail d’Antoine Fuqua a toujours été coupé à l’unité par la critique. C’est-à-dire considéré uniquement à l’aune de l’argument de vente de ses films, qui avaient le tort de creuser des sillons ouverts par d’autres. Un tueur pour cible ? Du John Woo moulé aux standards MTV. Le roi Arthur ? Du péplum post-Gladiator déjà réchauffé. . L’élite de Brooklyn ? Un ersatz fatigué de… Training Day, seul film pour lequel le réalisateur a pu bénéficier d’une reconnaissance (relative) de son identité artistique.

Bref, là où chez d’autres la diversité de leur filmographie motive leurs exégètes à en mettre les points cardinaux en valeur, pour Antoine Fuqua, c’est la preuve d’un faiseur qui se contente de suivre le sens du vent. Le fait que le réalisateur ne soit pas forcément son meilleur avocat (comme on l’avait expliqué ici) n’aide pas vraiment à dissiper une étiquette de girouette, qu’il ne mérite pourtant pas. 

Je suis toute ouïe…

RESISTANCE D’EPOQUE

En effet, il y a quelque chose de passionnant dans sa filmographie qui dépasse la seule dimension qualitative que l’on peut accorder à son travail. Car si on se fie à la génération à laquelle il appartient, Antoine aurait dû en toutes logiques se rejoindre les rangs des relativistes. Question d’époque : les années 90, c’est la chute du mur de Berlin, le déclin des zones de luttes traditionnelles, la fameuse « sortie de l’histoire »… Ce qui était bien ou mal hier devient sujet à caution aujourd’hui, et l’ambiguïté a supplanté le manichéisme dans le cœur des artistes qui doivent se faire l’écho de l’air du temps.  Bref, tout est remise en question, même et surtout l’élémentaire. C’est David Fincher, Bryan Singer, Gore Verbinski, les soeurs Wachowski… Autant de cinéastes qui, chacun à leur manière, ont soumis à l’inventaire les grands récits qui ne trouvaient plus de réponses aux questions de ses nouveaux enfants terribles. 

Or, si son empreinte visuelle est indéniablement moulée dans les pas de son époque, Fuqua s’ingénie à en prendre le contre-pied idéologique. Quand ses semblables obscurcissent la trajectoire de ses personnages, lui avance à la ligne claire. Au règne de l’anti héros à la moralité ambivalente, lui embrasse la figure du héros sans modération.  Le mythe du cowboy s’éloignant dans le soleil couchant après avoir nettoyé la ville, c’est pour lui. Le fil conducteur de sa filmographie peut se ramener ainsi à ces hommes (car c’est aussi l’un des derniers réalisateurs à faire du cinéma d’homme, au sens premier du terme) animés par la seule envie de faire le bien, sans plus de justifications . Quitte à agir contre leurs intérêts immédiats

C’est Chow Yun Fat qui se met les triades à dos dans Un tueur pour cible après avoir refuser de tuer un enfant. C’est Bruce Willis et son unité qui choisissent d’escorter un groupe de réfugiés au péril de leur vie et au mépris des ordres de leur hiérarchie dans Les larmes du soleil. C’est évidemment Ethan Hawke, candide qui met son idéalisme à l’épreuve des assauts du démon Denzel Washington dans Training Day. C’est ce même Denzel Washington, qui sort de sa réserve dans les Equalizer pour administrer leur châtiment aux âmes corrompues qui trahissent ses principes d’humanité…

SEUL (OU PRESQUE) AU MONDE

A l’instar de ses personnages, Fuqua avance en solo. A cet égard, Robert McCall est peut-être son personnage qui lui ressemble le plus. Ou du moins celui qui incarne le mieux cette quête d’absolu que le réalisateur oppose aux compromis dont s’accommodent le commun des mortels. De fait, le sens de la justice intransigeant et volontiers psychorigide de McCall ne s’embarrasse d’aucunes circonstances atténuantes pour punir ceux qui violent ses tables de lois. Comme le cinéaste le déclarait en substance à Mad Movies à la sortie de L’élite de Brooklyn: « A la fin de la journée, le mal, c’est le mal point ». Sans ambiguïté.

– Bénissez-moi mon père, parce que j’ai pêché
– Je sais

A l’instar de Mel Gibson, toute la filmographie de Fuqua repose ainsi sur ces figures habitées par une force de caractère les poussant à refuser le moindre arrangement avec leurs principes. C’est aussi le cas des héros de John Woo, chevaliers des temps anciens égarés dans un monde qui ne reconnait plus leur état d’esprit. Ainsi, plus que le « John Woo pour les nuls » capitalisant sur l’imagerie du réalisateur auquel il a été réduit, Un tueur pour cible jouait filiation pour mieux formuler la note d’intention de toute une carrière. Une convergence des valeurs qui fonde également ses noces prolongées avec Denzel Washington, acteur avec lequel il en est à son quatrième film et qui partage avec Chow Yun Fat (héros d’Un tueur pour cible et ancien acteur fétiche de John Woo) l’ADN des grands hommes à l’écran. Le genre à incarner cette autorité morale inflexible qui fait baisser le regard aux impies et se fiche bien que l’époque ne soit plus à la verticalité de la vertu. L’Evangile selon St Denzel rédigé par Antoine Fuqua, c’est un concentré d’Ancien Testament hardcore qui expédie les injustes dans les bras de leur destin.

LES RACINES DU MAL

Il faut bien ce genre de figures d’autorité (donc pas Mark Wahlberg qui liquide du sénateur véreux à tour de bras pour se venger de porter un prénom composé dans le « redneck-pleaser » Shooter-Tireur d’Elite) pour lutter contre ce qui constitue le véritable ennemi chez Fuqua. En effet, si sa filmographie (à quelques exceptions près) compte finalement peu de bad guy vraiment mémorables, c’est parce qu’il se bat contre une idée plus que contre un personnage : le compromis. Celui qui finit par rimer par compromission, une accommodation après l’autre, et qui finit par jeter les meilleurs dans les bras du malin.

On pense au personnage de Denzel dans Training Day bien sûr, mais aussi à L’élite de Brooklyn, premier film du réalisateur dépourvu de good guy et véritable conte moral qui accompagnait des personnages perdus dans la corruption ordinaire vers leur fatalité. Le cinéaste posait un regard sans concession mais plein de compassion sur ces âmes en perdition, qui imprégnait déjà ce qui constitue sans doute son œuvre la plus aboutie : Les larmes du soleil version director’s cut. Un film qui raconte justement des personnages qui empruntent la voie du jusqu’au boutisme pour se reconnecter avec leur humanité, et en terminer avec une vie passée à « regarder de l’autre côté« . 

C’était pas notre guerre lieutenant

 Les larmes du soleil est le western que Fuqua n’a pas réussi avec le remake des Sept mercenaires. Son film ou les soldats ne se définissent plus comme les sauveurs invulnérables d’un autre indistinct, mais les guerriers qui protègent les autres membres de la communauté de fortune à laquelle ils ont offert leur allégeance. Ils n’imposent pas leur héroïsme de façon verticale mais horizontalement, une valeur qu’ils partagent avec les autres.

Ce besoin de recommencer quelque chose sur les cendres de ce qui a été, de fonder un ordre social qui s’émancipe du vieux monde pour essentialiser une humanité fondamentale est au cœur d’un récit américain dont le cinéaste s’est fait le hérault. Le dernier peut-être à croire aussi totalement dans ses mythes fondateurs. Ce qui pourrait-être une bonne définition d’Antoine Fuqua: un réalisateur de western des années 50 qui croit encore dans l’absolu de ses archétypes. Quand la mode est à la dédramatisation de connivence et la dramaturgie de salon qui vient expliquer la vie aux bidasses, un vrai romantique label rouge, garanti 100% sans cellules souches postmoderne, ça rétablit un semblant d’équilibre.

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