Vous connaissez le Popcorn Reborn Summer Festival ? C’est pas grave, il est encore temps de bien faire. Ça se passe à Arras, sympathique ville des Hauts-de-France dans laquelle réside l’association Popcorn Reborn (forcément). Inquiets et dépités par les annulations de sorties des blockbusters U.S l’an passé, les soldats de la culture pop qui composent l’asso avaient répondu en inventant leur été américain à eux.
Cette année, le problème est inversé : ce n’est pas l’absence, mais la profusion qui est en train de transformer l’été U.S en embouteillage informe. 7 mois de fermeture ont allongé à perte de vue la file d’attente des distributeurs devant les salles obscures. C’est sûr, il va y avoir plus de victimes que de gagnants, mais ce n’est une raison de baisser le pavillon pour autant. Au contraire même : à la logique darwinienne qui va présider aux sorties en salles, nous répondons par la planification et l’accompagnement des œuvres qui ont laissé une empreinte indélébile sur la surface du grand-écran.
La salle de cinéma comme support de redécouverte : pour nous, l’avenir de l’exploitation cinématographique se joue aussi dans cette proposition. De l’anneau de pouvoir au pic à glace, de la chasse au trésor à la quête du porté idéal : cet été, la 2ème édition du Popcorn Reborn Summer Festival en met encore pour tous les goûts.
Pourquoi revoir Basic Instinct en salles ? « C’est vrai ça pourquoi ?! » répondront les plus libidineux, qui s’imaginent déjà privés par le projectionniste de leur arrêt sur image rituel sur l’intimité de Sharon Stone, propulsée au rang d’icône de son époque avec une scène qui aurait dû briser sa carrière à tout jamais. On ne parle pas et on montre encore moins ces choses-là au pays de Janet Jackson et du téton de la discorde, mais impossible n’est pas Paul Verhoeven.
Pourtant, le réalisateur n’a pas titularisé la candidate qu’il courtisait le plus. Et pour cause : les actrices les plus en vogue de l’époque ont toutes refusé un projet perçu comme un arrêt de mort professionnel. A raison, a t-on envie de dire. Le sexe (très) explicite, la bisexualité du personnage, un Michael Douglas encore « Gordon Gekkoisé » qui joue le vice comme il lancerait une OPA hostile pour annihiler sa partenaire de jeu… Difficile de reprocher leur frilosité à celles qui considéraient avoir quelque chose à perdre en acceptant l’invitation ; ça devait-être le cas. Demandez à Elizabeth Berkley (l’égérie de Showgirls, du même Paul Verhoeven) ce qu’elle en pense.
Choix par dépit donc, Sharon Stone possède néanmoins quelque chose de plus que les très bonnes actrices qui ont décliné le rôle : c’est une star. Une vraie, en lettres majuscules et caractères d’imprimerie, qui attendait d’être filmée comme tel. Une créature de cinéma prédestinée au grand-écran et dont l’éclat éblouit le commun des mortels dès sa première apparition. La caméra a ses élu(e)s et la justice n’a pas son mot à dire, c’est comme ça c’est tout. Ici, les dieux du 7ème Art passent la bague au doigt de Sharon, même (et surtout) sur les terrains qui compromettent la décence élémentaire.

Il faut revoir la fameuse scène de l’interrogatoire qui a provoqué tant d’émois. La divine suspecte surplombe ses inquisiteurs comme si elle se dressait sur un autel, et les transforme en dévots en leur montrant ce qu’elle ne saurait cacher. Rien ne l’atteint, et surtout pas le regard que les flics en sueurs et le spectateur humide portent sur elle. Le grand-écran met encore plus en exergue cette posture d’idolâtrie à laquelle Verhoeven nous astreint : la monarque se déploie sur toute la surface de la toile, la position assise devient la posture d’adoration de ses spectateurs/sujets.
Face à la Reine de Saba, Michael Douglas incarne cette entité masculine pleine d’elle-même et enivrée par son hubris, qui part à l’assaut de l’Hyper femelle comme d’autres sont partis à la conquête de l’Amérique. Basic Instinct le thriller érotique posé sur le papier par Joe Eszterhas devient un duel de genre à l’écran, au sens mythologique du terme. Masculin et Féminin s’affrontent au plumard pour imposer leur suprématie dans des ébats sublimés par la lumière du compatriote hollandais Jan de Bont. Paulo peint les corps de ses acteurs tel un Michel Ange de la luxure avec le grand-écran pour plafond et la salle de cinéma en équivalent de la chapelle Sixtine.
Mais même si le film s’achève sur un point d’interrogation, l’issue de cette bataille pour les âges ne fait aucun doute. Michael Douglas accepte (au sens propre) la soumission, et rejoint le rang des canards qui font la queue devant la porte de Sharon. Logique finalement, le duel a toujours déséquilibré : Hector a beau faire preuve de vaillance face à Achille, l’un demeure un mortel quand l’autre bénéficie du support des dieux. Le match est plié quand Douglas se retrouve à son tour interrogé par ses collègues. Dans une scénographie semblable à celle dans laquelle Elle est intronisée, Lui se révèle écrasé par la situation, malgré ses efforts pour se grandir.
Au fond, La femme n’est pas l’avenir de l’homme, mais son seul mythe indépassable, qui aura rarement eu plus belle incarnation qu’ici.
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