UNDISPUTED III, REDEMPTION : LA PASSION DE YURI
Comme le disait Eddie Murphy dans 48 Heures: « Il y a un nouveau shérif en ville ». Celui-là a un accent russe à faire pleurer une vache espagnole, une dégaine qui dit « fuck you » jusque dans sa coupe de cheveux, des capacités athlétiques qui donnent envie à Jean-Bruno de se décapsuler une bière de dépit depuis son canapé…. Et un genou en marmelade. En effet, le climax d’Undisputed 2 a laissé notre cher Yuri Boyka défait et hurlant au martyr après que son adversaire lui ait fait sauter la rotule à la force de ses biceps. Ce qui n’a pas empêché le personnage de connecter immédiatement avec le public, qui en a fait sa nouvelle égérie . Parfois quand on gagne on perd, et quand on perd on gagne. En l’occurence, Boyka a perdu une guerre mais gagné son title-shot pour un royaume sur lequel il compte bien asseoir son emprise. Tirer Excalibur de son rocher c’est bien, mais il est temps de conquérir son Kaamelot: ce sera Undisputed III-Redemption.
CONQUETE SANS ARMEE
Si l’idée d’une suite à Undisputed 2 centrée sur le personnage s’impose rapidement d’elle-même, les producteurs ne sont pas pour autant disposés à investir sur leur poulain. La radinerie proverbiale de Nu Image ne fait aucune concession au potentiel de son action-hero maison, dans lequel ils perçoivent davantage un tiroir-caisse low-cost qu’un futur champion des stades. Prophète d’un marché de niche en guise de pays, Boyka subit une coupe drastique des fonds pour sa promotion au premier plan (et ce malgré la côté grandissante de Scott Adkins ). Avec un budget quasiment divisé par 3 (on tombe de 8 à 3 millions de dollars!), on atteint un seuil de précarité où l’expression « économie de moyens » devient un euphémisme ingénu. Reconduit aux commandes, Isaac Florentine se voit donc contraint de faire « bigger, better and louder » pour écrire la légende de son personnage, mais avec un budget qui nivelle ses ambitions par le fond. Ça revient un peu à priver de monture un soldat polonais qui part à l’assaut des chars de la Wehrmacht: c’est limite mesquin.
START FROM THE BOTTOM
Mais comme l’a dit Jésus c’est dans le dénuement que s’accomplit la transcendance. Boyka fait voeu de pauvreté forcée, mais le chemin vers la grandeur est un itinéraire frugal. Les choses sont posées dés le début du film. Boyka, le conquérant sanguinaire qui terminait son adversaire inanimé dans la scène d’introduction du précédent, est devenu une loque hirsute affublé d’une patte folle qui lui interdit de remonter sur le ring. La honte est un châtiment que l’on s’inflige et pour cet orthodoxe ultra-pratiquant, l’estime de soit est désormais chevillée au balais à chiottes qu’il trimballe dans les effluves malodorantes de la taule. On pense fort à Jean-Claude Van Damme dans In Hell de Ringo Lam, pour le spectacle de régression masochiste d’un corps d’action qui se punissait dans sa déchéance passive. Si ce n’est qu’ici, le dolorisme Lars Von Trierien ne dure que cinq minutes. Juste le temps de sentir la foudre lui traverser les couilles, d’essayer un peu de kinésithérapie maison et de se refaire une beauté capillaire pour mettre la hagra au lourdaud qui avait pris sa place sous les spotlights. Direction une prison géorgienne dans les valises de l’inénarrable Gaga, qui doit présenter son champion dans un tournoi qui réunit les détenus les plus pugilistiquement qualifiés de la planète.
Vous trouvez ça bis ? Le traitement l’est tout autant. Privé des moyens de faire du pied à la qualité mainstream, Undisputed III ne cherche jamais à présenter un lit au carré. Florentine privilégie ses ambitions à la finition, et arbitre quasi-systématiquement en faveur de l’idée quand celle-ci se retrouve en tension avec la propreté de l’exécution. Fais-le maintenant, réfléchis plus tard: un pur état d’esprit de « man on a mission« , qui continue d’aller de l’avant quelque soit les obstacles (Boyka style).
QUOIQU’IL EN COUTE
Pas les moyens de terminer ses longs et amples mouvements d’appareils « naturellement » (malgré la reconduction- essentielle- de Ross Clarkson à la photo)? Pas grave, les zooms numériques permettent d’assurer la continuité de l’action. La production ne le laisse même pas habiller correctement les cousins de Borat qui squattent le casting figuration ? Pas grave, les gros plans agressifs sur leur faciès de porte-bonheur dynamisent leur présence. Pas le temps à consacrer à des scènes d’actions trop complexes? Pas grave… On va quand même les emballer. Undisputed III s’approprie la rotule bousillée de son héros dans sa conception même et avance en outsider. Faute de ne pas pouvoir ne pas regarder à la dépense, il ne s’arrête pas sur ses handicaps. Ça déborde de plis, ça rigole trop fort, ça postillonne sous le masque… Bref, du vrai cinéma bis au sens premier du terme, qui défie les normes d’hygiène et de sécurité de la production de « série A ». Undisputed III bave un peu, et ne le cache pas.

Pourtant, malgré son déficit de production value, le film ne marque pas le pas face au second volet. D’abord parce que les scènes d’actions réussissent justement à dépasser le précédent en termes de spectacle, en dépit d’une conception que l’on imagine soumise à un timing de guérilla et le genou en carton de son personnage principal. Larnell Stovall remplace JJ « Logo » Perry à la chorégraphie, les combats s’efforcent avec succès de confronter les styles des différents belligérants, et le climax se paye le luxe de s’installer au sommet de la franchise et au Panthéon du genre, tout épisode confondu. Un titre qui ne découle pas seulement des qualités (et c’est peu dire!) de leur exécution, mais des velléités de story-telling construites en amont qui se concrétisent dans son déroulement. Story quoi?!
Et oui, c’est bien le terrain sur lequel ce B trempé dans la confiture prend son envol et consacre son personnage sur le trône qui lui revient de droit à l’issue du dernier plan. Car aussi jouissif soit-il, Undisputed II fonctionnait finalement sur une logique de confrontation binaire, ou les sous-intrigues concernant les personnages constituaient avant tout prétexte à affrontement. C’était tout ce qu’on demandait, et le contrat était rempli jusque dans les petits caractères. Mais ici, Florentine profite de l’arrivée de Boyka en tête d’affiche pour inverser la problématique : c’est lui et son parcours qui vont articuler les scènes d’actions,. Pas l’inverse.
GOLGOTHA, MAILLOT JAUNE
Poussé à l’introspection par son déclassement violent de la chaine alimentaire, Yuri B. doit regagner le statut qui est le sien ou mourir comme il a vécu, non sans remettre en question et dans la douleur ses certitudes au passage. Cette volonté de construire une action qui se révèle organique avec le point de vue du personnage principal s’impose dans un découpage et une écriture soucieux d’évocation et d’éloquence. On songe à ce dialogue par chaines de forçats interposées avec son binôme (qui rappelle- et à dessein- Michael Jai White dans le premier), ou ce passage au mitard qui flirte avec l’introspection théâtrale. Florentine prend la mesure de son personnage principal et refuse de le réduire à l’attraction bad ass pour acrobaties de vidéo-club à laquelle ses producteurs voudraient le réduire.
Autrement dit l’aura de Yuri Boyka ne tient pas dans ses seuls high-kicks, et Florentine s’emploie à le prouver en forgeant subtilement son récit dans son regard. Undisputed III s’impose ainsi quasiment comme un film à la première personne qui ne dit pas son nom, notamment lorsqu’il s’emploie à imprimer à l’écran l’imaginaire religieux dans lequel baigne le personnage. Une démarche qui prend tout son sens dans sa confrontation avec Dolor, némésis pour le moins atypique pour ce genre de production. Belzébuth latin et longiline, sexué jusque dans un timbre de voix suave, Dolor est un bad guy qui fait planer une menace presque androgyne sur le massif et rugueux Boyka. On pense presque à un méchant de japanimation, idée entérinée le cabotinage « outra control » du chilien Marko Zaror (aussi impressionnant qu’Adkins sur le ring).
Ainsi, plus encore que dans ses scènes de combats c’est dans le traitement de son personnage qu’Undisputed III touche quelque chose qui relève de l’essence- même du genre qu’il investit. C’est un secret de polichinelle, mais il n’y a rien de plus fondamentalement judéo-chrétien que le film d’action au cinéma. On n’a rien sans rien, pas de victoire sans douleur, de transcendance sans souffrance et de résurrection sans mort : le genre n’a jamais fait que rejouer le chemin de croix de Jésus à travers ses figures de proues (Clint Eastwood, Sylvester Stallone, Jean-Claude Van Damme). L’action hero se définit par sa capacité à encaisser les coups, même si contrairement au Christ sur sa croix, on attend toujours fébrilement le moment où il va rendre ce qu’il a reçu. Plus grande est la punition, plus libératrice sera la catharsis: les termes fondamentaux du contrat régissant le lien entre le genre et le spectateur n’ont pas changé d’un iota depuis les débuts de la création.
A cet égard, Undisputed III s’impose comme le paroxysme indépassable d’un univers dont il rejoue les enjeux sous-jacents à même son imagerie. On retient ainsi cet instant où Boyka remonte sur le ring, le genou maintenu par une attelle de fortune qui laisse s’échapper du sang (sans que ce soit justifié narrativement) sous le regard entendu de son adversaire. Le film s’émancipe ouvertement de son contexte diégétique pour embrasser sa symbolique à pleine bouche: Uber-Boyka de Nazareth a reçu les stigmates du Messie, et il se garde bien de tendre l’autre joue. Le spectateur se retrouve dans les gradins, à célébrer sa résurrection avec les autres convertis tandis qu’il punit son bourreau, le sang fouetté par ce qu’il convient d’appeler (osons le mot) un grand moment de cinéma. Un peu comme si se déroulait sous nos yeux une correspondance œcuménique entre Bloodsport et La Passion du Christ de Mel Gibson. On exagère un peu mais pour les bourrins congénitaux qui constituent le public-cible du film, on n’est pas loin de l’expérience mystique.

C’est une certitude, il est préférable de disposer d’une sensibilité spécifique pour mettre les pieds dans le plat Undisputed III: Rédemption dans de bonnes conditions. La poésie christique qui s’échappe des larmes de sang du mâle-alpha en sueur qui triomphe sous les acclamations de la foule n’est accessible de toutes évidences qu’à un parterre réduit d’élus. Mais ceux-là savent que malgré les embûches, Undisputed III a bel et bien offert un royaume à son personnage qui continue de régner sur ses administrés. Dans la douleur et contre tous les pronostiques: c’est ça le destin d’un action hero.
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