Ça n’a échappé à personne (du moins, à ceux qui ne se sont pas exilés sur une galaxie lointaine, très lointaine…) : 6 Underground, le nouveau Michael Bay est sorti. En l’occurence sur Netflix, qui arbore en la personne du padre des Transformers l’une de ses prises de guerre les plus significatives. Car on peut penser ce que l’on veut de l’œuvre de destruction massive du cinéaste, sorte d’équivalent cinématographique aux ADM de Saddam Hussein que personne n’a jamais trouvé. Mais les films de Michael Bay se posent quasi-systématiquement comme des jalons du cinéma de grand-écran, qui n’en finissent pas d’être pompé par ses voisins moins doués pourtant accueillis avec une bienveillance dont a rarement pu profiter le cinéaste.
Et de fait, 6 Underground mérite d’autant plus qu’on s’y intéresse que ce n’est pas un Michael Bay comme un autre. Car le film ne provoque pas seulement une rupture dans la filmographie du réalisateur, il nous invite carrément à revoir sous un autre œil une carrière qu’un alignement de planète improbable a placé sous le signe du blockbuster (pas vraiment) mainstream. Michael Bay, un réalisateur d’art et d’essai ? Que oui !
Président par accident
Si Bay a effectué toute sa carrière ou presque dans le blockbuster, sa démarche n’a jamais procédé de la logique qui est (ou devrait-être) celle du cinéma grand-public. A savoir dialoguer avec l’inconscient collectif pour coordonner les regards et les consciences des spectateurs de par le monde. L’exemple le plus emblématique demeure sans doute Steven Spielberg, cinéaste absolu pour ce qui est de fédérer le public sous l’évidence de concepts difficile à traduire ou à accepter sur le papier.
Or, au contraire de tonton, la communication ne constitue pas vraiment le but premier de Michael Bay. Ce qui ne veut pas dire que c’est un communicant : on réservera cet adjectif aux JJ Abrams, Peter Berg, Colin Trevorrow, et autres marvelleries qui conçoivent le langage cinématographique en éléments de langage forgés dans cette lessiveuse du vide qu’est devenu la culture pop. Non, Michael Bay, lui jette sa psyché sur l’écran en faisant péter tout ce qui traine, y compris les synapses du public. Bay ne raconte pas une histoire, et d’ailleurs on n’y va pas pour ça. Mieux : on s’y rends pour qu’il ne nous en raconte pas. On est là pour le Bayem, concerto en Boom majeur (mais genre ultra) dont on ressort avec la rétine explosé, du sang dans la bouche et des acouphènes dans les oreilles.
Que la partition bayienne soit plus ou moins imperturbable (malgré quelques variantes) aux histoires investies est finalement sans importance. Les fans, les VRAIS fans du savent qu’il n’est qu’emphase et destructions, un hypersensible binaire qui fracasse nos fréquences sensitives à la bombe H. C’est la raison pour laquelle hormis ses premiers travaux (dont Rock, sans doute ce qui ressemble le plus à un compromis réalisateur/producteur dans sa carrière) et quelques exceptions (dont Pain and Gain), il faut souvent s’accrocher pour comprendre les intrigues des films de Michael Bay (à titre personnel, ça m’a pris trois visions de Bad Boys 2 pour saisir qui faisait quoi, et ce que foutaient les haïtiens dans l’histoire). Chose qui ne tient pas à la complexité de ses scénarios, où à une écriture qui serait plus bordélique que d’autres. C’est la méthode du réalisateur qui génère ce chaos en 24 images secondes.

Au commencement, il n’y avait rien…
On a parfois comparé Michael Bay à Tsui Hark pour leur propension commune à dérégler les repères du spectateur en exposant les tenants élémentaires du récit cinématographique à leur quête de désordre. Mais chez Hark, l’anarchie est constamment reconfigurée par l’idée ou le propos qui articule sa démarche. Exploser les conventions de son médium pour lui, c’est sa façon de faire éclater le monde pour mieux le reconstituer à l’aune de cette grammaire qu’il ne cesse de réinventer.
Mais chez Bay, il n’y a plus rien après le Big Bang : juste les débris de l’univers emporté dans la déflagration provoqués par un alliage expressif où la stimulation reptilienne constitue le seul point de liant entre la sidération de l’instant-plan. Chez Hark, il y a une désorganisation dans l’organisation. Pas chez Bay. L’un est anarchique, l’autre n’est que pur chaos. C’est la grandeur de son style autant que sa limite intrinsèque, et c’est bien pour ça qu’on l’aime.
On le comprend, Bay ne tourne finalement que des films-cerveaux, dans lequel l’idée même de scénario incarne presque l’élément disruptif de sa dramaturgie (à moins que ce ne soit l’inverse). Comme le faisait très justement remarquer Ben Weathley au cours d’une interview donnée à Cinéma Teaser, certains passages de Transformers se révèlent plus expérimentaux que les happy-few les plus arty.
Bref, Michael est une anomalie : réalisateur d’art et d’essai avec l’état d’esprit d’un amateur de stock-car, un œnologue qui a choisi de dédier son palais hors du commun au gros rouge qui tâche. Son emprunte dans culture populaire et l’influence considérable qu’il continue d’exercer sur la conception du blockbuster moderne tiennent à un axiome très simple: seul Michael Bay peut faire du Michael Bay, parce qu’il n’y a qu’un seul Michael Bay. A ce titre, sa déclinaison industrielle constitue l’un des malentendus les plus malheureux de l’histoire du cinéma américain, qui s’est calé sur un modèle que personne ne pouvait et n’aurait dû essayer d’émuler. Comme si on avait transformé en cahier des charges un journal intime écrit en hiéroglyphes que son auteur pouvait décoder.
Le huitième jour
Or, c’est là qu’on en vient au cas 6 Underground, qui dépasse largement le festival que l’on était en droit d’attendre du réalisateur sur un chèque en blanc à 150 millions de patates signé par Netflix. Rassurez-vous : la promesse d’un shoot de Bayem pur à 0.9 est bel et bien tenue. Patrimoine culturel florentin résumé aux outrages que lui fait subir le réalisateur, nerf optique se ballade entre les sièges de voitures, figurants innocents offrant le spectacle de leur sacrifices plein champ, casses automobile qui distribuent leur prime de fin d’année au mois de juillet… Et ce n’est que les 15 premières minutes. Michael Bay est là pour (se) faire plaisir vous êtes prévenus.
Mais peut-être pour la première fois, cette composition chimique non diluée ne tient pas seulement au spectacle espéré et attendu. C’est l’organisation de la narration, ou plutôt sa désorganisation qui parachève la profession de foi à l’oeuvre. La scène d’ouverture correspond une scène de deuxième acte, la présentation des personnages ne suit pas d’ordre connu, les temporalités se mélangent et se juxtaposent… Bref, rien n’est à l’endroit dans 6 Underground, tout s’entremêle jusqu’à déréaliser le corps de l’intrigue. Bref, c’est le bordel. Et pourtant c’est totalement cohérent.
Comme on l’a dit, l’une des caractéristiques de Bay jusqu’à présent était de rendre incompréhensible les scénarios simples (ou simplistes) qu’il portait à l’écran. Entre les élans expérimentaux sauvages de l’un et le récit convenu de l’autre, la médiation aboutissait à l’annihilation du deuxième par le premier. Or, la particularité de 6 Underground Bay réside dans le fait que cette fois, Bay pense son récit au diapason de sa manière de filmer. Cette volonté de penser la forme en interaction avec le contenu a des précédents, couronnés de plus (Pain and Gain) ou moins (13 Hours) de succès. Mais dans 6 Underground, c’est comme si le réalisateur avait réécrit le film au montage pour trouver la cohérence organique dans laquelle la forme devenait le miroir du fond. D’une certaine façon, Bay s’assume pour la première fois en tant qu’artiste à part entière , et compose un collage impressionniste qui honore les attentes des fans tout en revendiquant sa profession de foi. Autrement dit, on ne fait pas que s’exposer à la brulure de paraphine ici. On comprend les personnages et la logique interne du récit. Autrement dit, Bay fait du Tsui Hark : il reconstitue ce qu’il déstructure. Peut-être le fait de se raconter lui-même le conduit à l’introspection créative.

Michael par Bay
On ne sait quelle est la part d’initiative du duo Rhett Reese/ Paul Wernick à l’écriture, mais 6 Underground respire d’autant plus le 100% Bay qu’il fait ce qu’il n’a pas l’habitude de faire. En premier lieu s’aventurer sur le terrain de l’autoportrait, licorne de l’artiste qui soumet son œuvre à son exégèse personnelle. Car difficile de ne pas voir le réalisateur dans le personnage de 1, joué par un Ryan Reynolds qui s’impose comme l’acteur méta par excellence, capable de rester habité jusque dans la digression la plus WTF . Génie précoce incompris du monde, psychorigide patenté qui donne des ordres pour communiquer avec autrui, enfant gâté qui profite de ses milliards pour s’offrir une lubie aussi inconsistance qu’irresponsable (buter les méchants, simple as that) : 1 est l’alter-ego de Michael Bay, et 6 Underground l’histoire de son propre tournage par écho. L’artiste parle de son processus filmique, de sa démesure chaotique, de sa disposition à passer par pertes et profits pour réaliser sa tâche. Un asocial limite autiste, qui va devoir apprendre à travailler avec les autres pour donner du sens à ce qui le pousse.
C’est toujours un moment spécial lorsqu’un artiste prend le cinéma comme pupitre pour s’exposer à son public. Etre sincère, c’est prendre le risque de se montrer vulnérable. Or, 6 Underground ne parle que de ça : un homme qui veut se faire comprendre, et s’astreint à structurer sa pensée pour communiquer. Structurer l’objet filmique pour se livrer au public : ses fans attendaient un cadeau, mais pas à ce point là.
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