On le sait, ça fait un moment que les frontières qui séparaient le cinéma de la télévision peinent à justifier leur bien-fondé face à la révolution des supports audiovisuels . Mais les sorties quasi-simultanées d’Avengers: Endgame et de l’ultime saison de Game of Thrones nous suggère que le chant du cygne de cette distinction est peut-être bien plus entamé qu’on ne le croit. Seconde partie avec La Bataille des Barbares, avant-dernier épisode de la saison 6 de Game of Thrones.
Tout le monde en parle
Suite et fin. D’emblée, il convient de noter qu’à l’heure où ces lignes sont écrites, votre serviteur n’a pas encore pris le temps de squatter la nouvelle saison de la série crée par David Benioff et D.B Weiss. Donc pas moyen de savoir si ce qui est avancé ici se vérifie avec ce qui a été diffusé de la conclusion du mogul télévisuel des années 2010, où si le déjà fameux troisième épisode parvient à tenir la comparaison avec les standards instaurés par celui qui nous intéresse ici (apparemment, votre téléviseur est trop mal réglé pour pouvoir en juger). Malgré ses quasi trois ans d’âge (une éternité à l’échelle de la dictature contemporaine de l’instant), La bataille des bâtards continue en effet d’écraser tout ce qui a été fait ultérieurement (à la fois à la télévision et au cinéma) en termes de représentation guerrière (ouais, même lui). Ainsi, si Marvel transvase les codes télévisuels dans un écrin cinématographique, Game of Thrones a le temps d’un épisode concrétisé sa vocation de grand-cinéma sur le petit écran. Mais sur quelles bases ?
Dans la logique des blockbusters HBO type Rome ou Band of Brothers, Game of Thrones s’est tout de suite inscrit dans une échelle de production qui excédait les limites du médium. Budget titanesque, prises de vues étalées sur plusieurs continents, direction artistique digne d’une major… Avant même de devenir le phénomène culturel que l’on connait, l’adaptation de l’oeuvre de George R. Martin était déjà pensée comme une machine de guerre destinée à tout écraser sur son passage. Bref, un pur produit HBO, précurseur (et vraisemblablement toujours leader) de la télé pour adulte ET adulte dans sa propension à marcher sans complexe sur le terrain du grand-frère des salles obscures.

Toutefois, en dépit de ses qualités maintes fois louées (à raison), Game of Thrones s’est vu souvent reprochée des errances narratives préjudiciables à ses ambitions. Notamment sa propension à étaler ses (sous)intrigues plus que de raisons, où à retarder artificiellement la résolution de ses enjeux. Sans compter un aspect « soap-opera« , qui n’aurait peut-être pas autant été relayée si la volonté affichée de tenir la dragée haute aux références cinématographiques du genre n’entrainait pas une hausse de l’exigence du spectateur .
D’un côté, le show offrait aux amateurs d’Héroïc-Fantasy l’univers le plus cohérent depuis Le seigneur des anneaux de Peter Jackson, et son statut de série du câble lui a permis de royalement ignorer l’autocensure qui aurait sclérosé sa traduction sur grand-écran. De l’autre, la question de son écriture tendait (parfois) à clouer GOT sur le plancher des vaches de la téloche à grand-papa.
Scène de bâtard(s)
Mais à intervalles réguliers, les créateurs rattrapaient leur note d’intention à travers des morceaux de bravoure sur lesquels ils continuent d’avoir le monopole télévisuel. Comme un gâteau offert aux fans pour les récompenser de leur (trop?) longue attente. GOT s’est inventé dans ces scènes d’anthologies qui chatouillaient les limites de l’écran TV. Jusqu’à franchement les exploser avec La bataille des bâtards.
On a beaucoup écrit à l’époque de la diffusion que la télévision venait officiellement de rattraper (voir dépasser) le cinéma sur le terrain du spectacle. Au point que Games of thrones et le réalisateur Miguel Sapochnik plantaient leur drapeau sur l’ultime domaine sur lequel le 7èmeArt pouvait encore prétendre à l’hégémonie. Ce qui est on ne peut plus vrai à bien des égards. Il suffit ainsi de comparer avec la production de Marvel, l’autre super-lourd de la pop culture contemporaine catégorie cinéma, pour s’en convaincre.
Jugez plutôt: La bataille des bâtards est un épisode conçu pour se distinguer de l’univers auquel il appartient, contrairement aux films Marvel pensés pour revenir à la ruche. La bataille des bâtards offre une scène d’action (en fait, C’EST une scène d’action) qui a imprimé la rétine des spectateurs. Contrairement à Marvel qui en 11 ans de MCU, est bien en peine de soutenir une scène un tant soit peu mémorable en la matière (allez, sauf peut-être dans les deux Captain America). La bataille des barbares aligne les idées de mise en scènes inédites, quand Marvel se repose largement sur les acquis des prophètes de la culture-pop syncrétique du début des années 20000. Surtout, La bataille des bâtards affirme une volonté de cristalliser et résoudre des enjeux limpides dans une série parfois accusée de s’étaler inutilement. Contrairement à Marvel qui… bref vous avez compris.
Face à face
C’est là que Game of Thrones rompt non seulement avec la saison, mais aussi avec le système habituel des séries. Une césure qui doit beaucoup à n’en pas douter au réalisateur Miguel Sapochnik, vieux routard de la télévision mais aussi réalisateur de Repo Men. Un film de SF à l’esprit « Verhoevenien » qui s’amusait à faire exactement tout ce que l’époque ne voulait plus voir, et qui à l’instar du hollandais violent paya chèrement son impertinence au box-office. Bref, un réalisateur au caractère bien trempé, qui assume ses prétentions dans son exécution et plus prompt à bousculer les codes qu’à rentrer dans un cadre. Un profil de maverick inhabituel pour la télévision mais parfait pour Game of Thrones, qu’il va emmener vers la réalisation de sa profession de foi.F
Dés les premières minutes, Sapochnik définit son récit autour de deux pôles distincts qui vont s’entrechoquer : le malfaisant Ramsey Bolton d’un côté, l’héroïque Jon Snow de l’autre. La raison d’être de l’épisode repose ainsi sur cette attraction purement cinétique et circonscrite au cadre de ce mini-récit : on commence au début, et on termine à la fin. Les enjeux sont donc vectorisés par une logique de mouvement pur: Jon Snow doit rejoindre Ramsey Bolton. Quitte à foncer dans le tas. Il n’y a guère que George Miller sur la même période pour prendre l’expression « images en mouvement » davantage au pied de la lettre… Une exigence qui ne se traduit pas seulement en termes de puissance picturale (il y en a), d’idées de plans jamais-vues (itou), ou dans l’expérience d’une infrastructure colossale (ça va sans dire), mais dans le découpage. Soit la durée des plans et la musicalité de leur enchainement, l’immersion du spectateur par un rythme porteur de sens.
Ainsi, La bataille des bâtards ne fait pas que mettre à l’amende tout ce qui a pu se faire en termes de bataille HF depuis 15 ans ( même Peter Jackson a du en avoir une coulée de sueur). L’épisode postule de son autonomie et s’affirme autant comme le point culminant de la saison qu’un aparté sanglant dans la série. Ce que n’ont pas manqué de remarquer ceux qui s’étaient fait l’avocat du diable en pointant quelques incohérences à l’aune des saisons précédents. Notamment des personnages dont le comportement ne répondait pas totalement à la trajectoire suivie sur les saisons précédentes. Jon Snow en particulier, qui nonobstait son évolution en fonçant dans le tas comme un bourrin et précipitait son armée dans le conflit. Ce qui est sans doute un poil litigieux à l’échelle de la série dans sa totalité. Mais parfaitement cohérent avec la logique de l’épisode, aimantation brutale de deux entités appelées à se rentrer dedans.
A la croisée des chemins
Plus encore qu’un épisode, La bataille des bâtards se propose une itération de GOT. On reconnait les personnages, mais ceux-ci ne sont plus tout à fait les mêmes. Bref, Game of Thrones ne faisait plus de la télé, mais du cinéma car il fait un récit par l’image et construit son sens par le découpage pour installer des enjeux qui lui sont propres. La communion qui s’était déroulé avec le public découlait autant de ce que le moyen-métrage le plus coûteux de l’histoire apportait en termes de progression à l’ensemble qu’en tant que stand-alone magnifiant les personnages dans un écrin narratif différent.
Que le grand-écran ne soit plus la chasse gardée du cinéma pour encore bien longtemps on s’en doutait un peu. Que le petit n’est plus la réserve naturelle des séries télé depuis bien longtemps, on le sait depuis un moment. Mais il semble bien que l’histoire soit en train d’actionner l’un ces leviers appelés à redéfinir durablement la face des deux médiums. Les objets phares de la culture pop sont toujours le reflet des évolutions de leurs temps. Avengers : Endgame et Game of Thrones nous informent ainsi qu’ils ne sont plus les emblèmes de leur pré-carré initiaux, mais les têtes de gondoles d’un nouveau monde d’images.