LE PROBLEME ANTOINE FUQUA

Voilà environ un mois qu’Equalizer 2 est sorti dans les bacs dvd/ blu-ray, histoire de faire de l’œil aux caddies de Noël des forçats du cadeau dépersonnalisé à beau-papa (le fameux combo : « Avec Denzel, c’est forcément bien », et « les critiques-que je n’ai pas lu- étaient très bonnes »). Reste qu’au-delà de sa façade consensuelle de produit passe-partout fédérant mollement sur la base de l’image de marque de son acteur principal, Equalizer 2 est surtout un film qui appartient pleinement à son réalisateur, Antoine Fuqua.  Pour le meilleur et pour le pire. 

Fier produit de l’école Propaganda (la mythique société d’audiovisuel qui comptait notamment Michael Bay et David Fincher dans ses rangs), Antoine Fuqua fait partie de cette génération de cinéastes qui ont entamé leur carrière sous l’étiquette infamante de clippeur. Il faudra au réalisateur trois films et le succès critique de Training Day pour se débarrasser de l’anathème symbolique des années 90. 

Si on connait la propension de la critique à trahir l’incompréhension des termes qu’elle emploie à tort et à travers, « clippeur » s’applique plutôt bien au cas Fuqua. Car quel est le reproche qui se cache dans le vilain mot ? De faire primer le visuel sur l’histoire. De connaitre la belle image sans avoir le sens du récit. Sans s’appliquer tel quel en l’état, le postulat résume assez bien ce qui est emmerdant avec les films de Fuqua : leur capacité à saisir formellement l’essence de leur sujet, pour ensuite la diluer. 

S’il y a bien une chose que l’on pourra pas reprocher à Antoine Fuqua, c’est bien sa volonté de forger l’identité de ses films à travers l’incarnation visuelle forte de ses concepts. Aujourd’hui, (mal) copier la feuille des voisins doués et changer trois virgules de places suffit pour se faire appeler auteur à suivre. A l’inverse, ce bon Antoine s’est toujours fait un point d’honneur à ne pas aller à la gamelle avec les autres. 

Déjà dans Un tueur pour cible, quand le cahier des charges devait se résumer à « faire du John Woo avec des néons pour les teenagers », le cinéaste s’efforçait de sortir de l’ombre envahissante du réalisateur de The Killer. Dans Les larmes du soleil, à l’époque où l’iconisation des bidasses était affaire de spotlight plein cadre et de coucher de soleil à la Michael Bay, Fuqua filmait des samouraïs taiseux qui se déployaient dans l’ombre. Training Day   sentait le polar urbain conçu pour flatter la génération « Chronic 2001» ? Il en fait un conte de fées reprenant l’archétype du héros candide se perdant dans un monde à la faune dangereuse (revoyez le film sur cet angle, c’est imparable. Surtout avec Denzel qui fait le loup). 

On pourrait continuer comme ça longtemps, l’essentiel est là : les films d’Antoine Fuqua s’identifient souvent à leur capacité à ne pas ressembler aux autres, à défaut de porter une signature forcément reconnaissable. Ça a l’air de rien dit comme ça, mais ça induit au moins deux choses qui manquent à la plupart de ses collègues : un regard et des compétences techniques pour le traduire. On a le droit de se faire chier devant les Equalizer. Mais on osera pas prétendre que le radar de chauve-souris de Robert McCall n’est pas le truc le plus cool jamais généré par le cinéma d’action de postquinquagénaire. A noter d’ailleurs que de tous les réalisateurs qui se sont intéressés à filmer les blackops, Fuqua est l’un des rares à leur avoir inventé une VRAIE mystique cinématographique (c’est-à-dire uniquement tributaire d’un langage propre au médium). 

Or, c’est justement ça qui est profondément frustrant avec lui : ses films prennent toujours le temps d’être suffisamment intéressants pour nous faire regretter ce à quoi ils auraient pu ressembler. Ce à quoi ils auraient DU ressembler, si le réalisateur ne succombait pas systématiquement à l’envie d’en rajouter une couche. Car faire des films ne suffit pas manifestement à Fuqua qui ne retient jamais ses appels du pied au « grand » cinéma. Ou plutôt à l’idée un tantinet trempée dans la confiture qu’il s’en fait.

Quiconque s’intéresse à son travail connait en effet ce moment où le réalisateur devient son pire ennemi à vouloir forcer la main de ses propositions initiales. On prendra pour exemple les prétentions romanesques qui caractérisent les deux Equalizer  qui, de tranches de vies digressives en sous-intrigues intrusives, s’échinent à empiéter sur l’essentiel… De même, La Rage au Ventrerenonce à se hisser à la hauteur de sa formidable première demi-heure, dès lors que le « manuel du mélodrame sportif pour les nuls » se met à faire office d’algorithme scénaristique… 

Un écueil qui d’ailleurs vire à la catastrophe quand il ne dispose pas d’un comédien à même d’absorber l’épaisseur du trait, et de conserver quelque chose qui se murmure entre les lignes dans un ensemble hurlé au marqueur fluorescent. Autrement dit, ce qui marche (en boitant, mais quand même) avec Denzel Washington et Jake Gyllenhaal ne fonctionne pas forcément avec Mark Wahlberg (se souvenir de Shooter- Tireur d’Elite… )

Soyons clairs : Fuqua est loin d’être le seul cinéaste de sa génération frappé de ce syndrome Christophe Colomb, qui convainc les concernés de leur vocation à redécouvrir l’Amérique à chacun de leur long-métrage. Faire du cinéma qui « compte » pour ne pas se noyer dans la multitude, se servir de sa création pour imprimer son nom. Mais là où ses collègues surinvestissent formellement le médium pour faire croire qu’ils ont quelque chose à raconter, lui fait dans l’expression littérale de son message. Comme s’il se sentait obligé de faire du remplissage, et d’ajouter ce qui n’avait pas lieu d’être (en tous cas, pas sous cette forme). 

Difficile de dire s’il s’agit d’un complexe hérité de son passé dans le clip et/ ou d’un désir d’être pris au sérieux à la hauteur de ses modèles. Reste que ça résume finalement bien le paradoxe d’Antoine Fuqua : afficher une intelligence cinématographique enviable le temps court d’une scène, mais accuser une chute ostentatoire de QI le temps long d’un récit. Concevoir certaines des meilleures séquences de l’année (Equalizer 2) et produire ce qui se fait de plus épais en termes de cholestérol narratif (Equalizer 2).  Nous faire aimer ses films pour ce qu’ils pourraient-être davantage que pour ce qu’ils sont… Mais qu’ils arrivent tout de même un peu à être. Sinon, on ne renouvèlerait pas l’espoir de pouvoir un jour défendre l’une des œuvres sans la moindre réserve. Don’t stop believing.

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